Différences entre les versions de « Le Testament d’un condamné - Robert Brasillach »

 
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'''[[Robert Brasillach]], « Le Testament d'un condamné (22 janvier 1945) », in ''Les poèmes de Fresnes'', éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2003 (ISBN 9782841911004), pp. 48-56.'''
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'''[[Robert Brasillach]], « Le Testament d’un condamné (22 janvier 1945) », in ''Les poèmes de Fresnes'', éd. Godefroy de Bouillon, 2003 (ISBN 9782841911004), pp. 48-56.'''
  
  
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<poem>L'an trente-cinq de mes années,
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<poem>L’an trente-cinq de mes années,
 
Ainsi que Villon prisonnier,
 
Ainsi que Villon prisonnier,
 
Comme Cervantès enchaîné,
 
Comme Cervantès enchaîné,
 
Condamné comme André Chénier
 
Condamné comme André Chénier
Devant l'heure des destinées,
+
Devant l’heure des destinées,
Comme d'autres en d'autres temps,
+
Comme d’autres en d’autres temps,
 
Sur ces feuilles mal griffonnées
 
Sur ces feuilles mal griffonnées
 
Je commence mon testament.
 
Je commence mon testament.
 
   
 
   
Par arrêt, des biens d'ici-bas
+
Par arrêt, des biens d’ici-bas
On veut me prendre l'héritage.
+
On veut me prendre l’héritage.
C'est facile, je n'avais pas
+
C’est facile, je n’avais pas
 
Terre ou argent dans mon partage.
 
Terre ou argent dans mon partage.
 
Et mes livres et mes images
 
Et mes livres et mes images
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A Dieu qui fut son Créateur,
 
A Dieu qui fut son Créateur,
 
Ni sainte ni pure, je sais,
 
Ni sainte ni pure, je sais,
Seulement celle d'un pécheur,
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Seulement celle d’un pécheur,
 
Puissent dire les saints français,
 
Puissent dire les saints français,
 
Qui sont ceux de la confiance,
 
Qui sont ceux de la confiance,
Qu'il ne lui arriva jamais
+
Qu’il ne lui arriva jamais
De pécher contre l'espérance.
+
De pécher contre l’espérance.
 
   
 
   
 
'''Quel don offrir à ma patrie'''
 
'''Quel don offrir à ma patrie'''
'''Qui m'a rejeté d'elle-même ?'''
+
'''Qui m’a rejeté d’elle-même ?'''
'''J'ai cru que je l'avais servie'''
+
'''J’ai cru que je l’avais servie'''
'''Même encore aujourd'hui je l'aime.'''
+
'''Même encore aujourd’hui je l’aime.'''
'''Elle m'a donné mon pays'''
+
'''Elle m’a donné mon pays'''
 
'''Et la langue qui fut la mienne.'''
 
'''Et la langue qui fut la mienne.'''
 
'''Je ne puis lui léguer ici'''
 
'''Je ne puis lui léguer ici'''
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Le souvenir des premiers jours,
 
Le souvenir des premiers jours,
 
Le cristal, le plus pur bonheur,
 
Le cristal, le plus pur bonheur,
Ah ! je laisse tout ce que j'aime,
+
Ah ! je laisse tout ce que j’aime,
 
Le premier baiser, la fraîcheur,
 
Le premier baiser, la fraîcheur,
 
Je laisse vraiment tout moi-même,
 
Je laisse vraiment tout moi-même,
Ou, s'il existe, le meilleur.
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Ou, s’il existe, le meilleur.
 
   
 
   
 
A toi, à la première image,
 
A toi, à la première image,
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Fierté aux temps les plus méchants,
 
Fierté aux temps les plus méchants,
 
Pour qui rien ne change à nouveau
 
Pour qui rien ne change à nouveau
L'âge qu'a toujours ton enfant.
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L’âge qu’a toujours ton enfant.
 
   
 
   
Et pour toi, ma soeur, mon amie,
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Et pour toi, ma sœur, mon amie,
(J'ai passé, ah ! si peu de temps
+
(J’ai passé, ah ! si peu de temps
 
Loin de toi, toute notre vie
 
Loin de toi, toute notre vie
 
Nos cœurs du même battement
 
Nos cœurs du même battement
 
Ont battu). Ce que je laisse
 
Ont battu). Ce que je laisse
C'est nos greniers des vieux printemps,
+
C’est nos greniers des vieux printemps,
C'est les jeux de notre jeunesse,
+
C’est les jeux de notre jeunesse,
Nos promenades d'étudiants.
+
Nos promenades d’étudiants.
 
   
 
   
C'est parmi la neige glacée,
+
C’est parmi la neige glacée,
 
La gaieté qui restait la tienne,
 
La gaieté qui restait la tienne,
 
Le sourire que tu faisais
 
Le sourire que tu faisais
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Rieuse parmi les déveines,
 
Rieuse parmi les déveines,
 
Mon amie de tous nos étés,
 
Mon amie de tous nos étés,
Ma soeur des joies comme des peines.
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Ma sœur des joies comme des peines.
 
   
 
   
A toi encor que j'ai vu naître,
+
A toi encor que j’ai vu naître,
 
Comme une enfant de mes douze ans,
 
Comme une enfant de mes douze ans,
Petite soeur, à la fenêtre
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Petite sœur, à la fenêtre
 
Tu vins aussi aux jours pesants.
 
Tu vins aussi aux jours pesants.
 
A toi tout ce qui nous assemble,
 
A toi tout ce qui nous assemble,
 
Le mépris des cœurs trop fuyants,
 
Le mépris des cœurs trop fuyants,
 
Le silence qui nous ressemble,
 
Le silence qui nous ressemble,
Et l'amour qui n'est pas bruyant.
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Et l’amour qui n’est pas bruyant.
 
   
 
   
 
Petits enfants de ma maison,
 
Petits enfants de ma maison,
O vous qui ne m'oublierez pas,
+
O vous qui ne m’oublierez pas,
(Et peut-être d'autres viendront)
+
(Et peut-être d’autres viendront)
Vous m'avez donné ici-bas
+
Vous m’avez donné ici-bas
Vos joues, l'étreinte de vos bras,
+
Vos joues, l’étreinte de vos bras,
 
Votre sommeil sur qui je veille :
 
Votre sommeil sur qui je veille :
 
Je vous appelle ici tout bas,
 
Je vous appelle ici tout bas,
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A toi, frère de ma jeunesse,
 
A toi, frère de ma jeunesse,
 
Que te donnerai-je qui puisse
 
Que te donnerai-je qui puisse
N'être à toi de ce que je laisse ?
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N’être à toi de ce que je laisse ?
 
Voici Paris qui fut à nous,
 
Voici Paris qui fut à nous,
 
Voici Florence qui se dresse,
 
Voici Florence qui se dresse,
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A tout il garde confiance.
 
A tout il garde confiance.
 
Au destin même bien masqué
 
Au destin même bien masqué
Nous disions oui d'une voix claire,
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Nous disions oui d’une voix claire,
Quel qu'il fût.
+
Quel qu’il fût.
Et rien n'a manqué
+
Et rien n’a manqué
Aux cadeaux qu'il pouvait nous faire.
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Aux cadeaux qu’il pouvait nous faire.
 
   
 
   
 
Bien ou mal, acceptons le lot !
 
Bien ou mal, acceptons le lot !
 
Je le lui rends, tout pêle-mêle.
 
Je le lui rends, tout pêle-mêle.
 
Mais je te laisse le plus beau,
 
Mais je te laisse le plus beau,
Nos dix-sept ans, l'aube nouvelle,
+
Nos dix-sept ans, l’aube nouvelle,
 
La couleur du matin profond,
 
La couleur du matin profond,
 
Nos années pareilles et belles,
 
Nos années pareilles et belles,
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Et puis, voici, pour mes amis,
 
Et puis, voici, pour mes amis,
 
Chacun leur carte-souvenir.
 
Chacun leur carte-souvenir.
Vous d'hier, et vous d'aujourd'hui,
+
Vous d’hier, et vous d’aujourd’hui,
Vous m'entourez sans vous enfuir,
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Vous m’entourez sans vous enfuir,
 
Vous allumez sur mon passage
 
Vous allumez sur mon passage
Le plus beau feu de l'avenir.
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Le plus beau feu de l’avenir.
 
Je tends mes mains à vos images,
 
Je tends mes mains à vos images,
 
Elles me gardent de frémir.
 
Elles me gardent de frémir.
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Notre-Dame des pèlerins.
 
Notre-Dame des pèlerins.
 
Le passé fut si beau en somme
 
Le passé fut si beau en somme
Qu'il ne faut blâmer le destin.
+
Qu’il ne faut blâmer le destin.
Jusqu'au bout de nos années d'homme
+
Jusqu’au bout de nos années d’homme
 
Nous aurons gardé le meilleur,
 
Nous aurons gardé le meilleur,
 
Le savoir de ce que nous sommes,
 
Le savoir de ce que nous sommes,
 
La jeunesse de notre cœur.
 
La jeunesse de notre cœur.
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Et pour toi, depuis si longtemps
 
Et pour toi, depuis si longtemps
De l'adolescence surgie,
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De l’adolescence surgie,
Je n'ai que d'étranges présents
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Je n’ai que d’étranges présents
 
A te laisser, ô mon amie :
 
A te laisser, ô mon amie :
Moins de joie, c'est sûr, que de peines,
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Moins de joie, c’est sûr, que de peines,
L'asile j'abritais ma vie
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L’asile j’abritais ma vie
 
Au cœur des mauvaises semaines,
 
Au cœur des mauvaises semaines,
Et ce qui jamais ne s'oublie.
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Et ce qui jamais ne s’oublie.
 
   
 
   
 
Pour vous, les frères de la guerre,
 
Pour vous, les frères de la guerre,
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Vous ne cessez de me parler.
 
Vous ne cessez de me parler.
 
Voici nos neiges sur le camp,
 
Voici nos neiges sur le camp,
Voici nos espoirs d'exilés,
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Voici nos espoirs d’exilés,
 
Notre attente de si longtemps,
 
Notre attente de si longtemps,
Notre foi que rien n'a troublée.
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Notre foi que rien n’a troublée.
 
   
 
   
 
Et vous, garçons de mon pays,
 
Et vous, garçons de mon pays,
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Et nos tentes dans les buissons.
 
Et nos tentes dans les buissons.
 
Vous le savez mieux que personne,
 
Vous le savez mieux que personne,
J'ai voulu garder ma patrie
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J’ai voulu garder ma patrie
 
Du sang versé, et je vous donne
 
Du sang versé, et je vous donne
 
Ce sang gardé, ô mes amis.
 
Ce sang gardé, ô mes amis.
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Cher Well<ref>Well Allot, aujourd’hui François Brigneau, qui habitait rue Mouffetard, tout près de la rue Rataud, où était le domicile de [[Robert Brasillach]].</ref>, notre sainte colline,
 
Cher Well<ref>Well Allot, aujourd’hui François Brigneau, qui habitait rue Mouffetard, tout près de la rue Rataud, où était le domicile de [[Robert Brasillach]].</ref>, notre sainte colline,
 
Le petit peuple du marché,
 
Le petit peuple du marché,
Le rue grouillante où l'on chemine,
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Le rue grouillante où l’on chemine,
 
Les charrettes des maraîchers,
 
Les charrettes des maraîchers,
 
Ils sont à toi, ami têtu,
 
Ils sont à toi, ami têtu,
Qui dans l'ombre toujours devines
+
Qui dans l’ombre toujours devines
Ce que l'espoir jamais battu
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Ce que l’espoir jamais battu
Malgré l'apparence dessine.
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Malgré l’apparence dessine.
 
   
 
   
 
Et pour vous les derniers venus,
 
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O captifs des cachots reclus,
 
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Gardez mes heures condamnées,
 
Gardez mes heures condamnées,
Gardez le froid, gardez l'ennui :
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Pour ceux qui ne les auraient plus,
 
Pour ceux qui ne les auraient plus,
 
Ce sont des trésors eux aussi.
 
Ce sont des trésors eux aussi.
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Attendre avec moi le matin.
 
Attendre avec moi le matin.
 
   
 
   
Pour eux tous j'avais les mains pleines
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Elles sont vides maintenant
 
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Des images les plus lointaines,
 
Des images les plus lointaines,
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Des amitiés qui furent miennes,
 
Des amitiés qui furent miennes,
 
   
 
   
Que ce qu'on ne peut m'enlever,
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Que ce qu’on ne peut m’enlever,
L'amour et le goût de la terre,
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L’amour et le goût de la terre,
 
Le nom de ceux dont je rêvais
 
Le nom de ceux dont je rêvais
 
Au cœur de mes nuits de misère,
 
Au cœur de mes nuits de misère,
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Version actuelle datée du 12 mai 2023 à 22:00


Robert Brasillach, « Le Testament d’un condamné (22 janvier 1945) », in Les poèmes de Fresnes, éd. Godefroy de Bouillon, 2003 (ISBN 9782841911004), pp. 48-56.


Robert Brasillach 2.jpg


L’an trente-cinq de mes années,
Ainsi que Villon prisonnier,
Comme Cervantès enchaîné,
Condamné comme André Chénier
Devant l’heure des destinées,
Comme d’autres en d’autres temps,
Sur ces feuilles mal griffonnées
Je commence mon testament.
 
Par arrêt, des biens d’ici-bas
On veut me prendre l’héritage.
C’est facile, je n’avais pas
Terre ou argent dans mon partage.
Et mes livres et mes images
On peut les disperser aux vents
La tendresse ni le courage
Ne sont objets de jugement.
 
En premier mon âme est laissée
A Dieu qui fut son Créateur,
Ni sainte ni pure, je sais,
Seulement celle d’un pécheur,
Puissent dire les saints français,
Qui sont ceux de la confiance,
Qu’il ne lui arriva jamais
De pécher contre l’espérance.
 
Quel don offrir à ma patrie
Qui m’a rejeté d’elle-même ?
J’ai cru que je l’avais servie
Même encore aujourd’hui je l’aime.
Elle m’a donné mon pays
Et la langue qui fut la mienne.
Je ne puis lui léguer ici
Que mon corps en terre inhumaine.
 
Et puis, je laisse mon amour,
Et mon enfance avec mon cœur,
Le souvenir des premiers jours,
Le cristal, le plus pur bonheur,
Ah ! je laisse tout ce que j’aime,
Le premier baiser, la fraîcheur,
Je laisse vraiment tout moi-même,
Ou, s’il existe, le meilleur.
 
A toi, à la première image,
Au sourire sur mon berceau,
A la tendresse et au courage,
A la féérie des jours si beaux.
Soleil même dans les sanglots,
Fierté aux temps les plus méchants,
Pour qui rien ne change à nouveau
L’âge qu’a toujours ton enfant.
 
Et pour toi, ma sœur, mon amie,
(J’ai passé, ah ! si peu de temps
Loin de toi, toute notre vie
Nos cœurs du même battement
Ont battu). Ce que je laisse
C’est nos greniers des vieux printemps,
C’est les jeux de notre jeunesse,
Nos promenades d’étudiants.
 
C’est parmi la neige glacée,
La gaieté qui restait la tienne,
Le sourire que tu faisais
Par delà les grilles lointaines,
Toi si fière, ô toi indomptée,
Rieuse parmi les déveines,
Mon amie de tous nos étés,
Ma sœur des joies comme des peines.
 
A toi encor que j’ai vu naître,
Comme une enfant de mes douze ans,
Petite sœur, à la fenêtre
Tu vins aussi aux jours pesants.
A toi tout ce qui nous assemble,
Le mépris des cœurs trop fuyants,
Le silence qui nous ressemble,
Et l’amour qui n’est pas bruyant.
 
Petits enfants de ma maison,
O vous qui ne m’oublierez pas,
(Et peut-être d’autres viendront)
Vous m’avez donné ici-bas
Vos joues, l’étreinte de vos bras,
Votre sommeil sur qui je veille :
Je vous appelle ici tout bas,
Je vous rends toutes ces merveilles.
 
Et maintenant, à toi, Maurice
A toi, frère de ma jeunesse,
Que te donnerai-je qui puisse
N’être à toi de ce que je laisse ?
Voici Paris qui fut à nous,
Voici Florence qui se dresse,
Et, sur les chemins secs et roux,
Voici notre Espagne sans cesse.
 
Mais voici surtout, ô mon frère,
Le cœur de notre adolescence
Nul hasard ne le désespère,
A tout il garde confiance.
Au destin même bien masqué
Nous disions oui d’une voix claire,
Quel qu’il fût.
Et rien n’a manqué
Aux cadeaux qu’il pouvait nous faire.
 
Bien ou mal, acceptons le lot !
Je le lui rends, tout pêle-mêle.
Mais je te laisse le plus beau,
Nos dix-sept ans, l’aube nouvelle,
La couleur du matin profond,
Nos années pareilles et belles,
Les enfants dans notre maison,
Et notre jeunesse immortelle.
 
Et puis, voici, pour mes amis,
Chacun leur carte-souvenir.
Vous d’hier, et vous d’aujourd’hui,
Vous m’entourez sans vous enfuir,
Vous allumez sur mon passage
Le plus beau feu de l’avenir.
Je tends mes mains à vos images,
Elles me gardent de frémir.
 
Cher José[1], voici la Cité,
Et la Cour de Louis-le-Grand.
Georges[2], pour un futur été,
Voici la route dans les champs.
Henri[3], voici les quais de Seine,
Et les livres à feuilleter,
Et le pays de la Sirène
Que nous aurions dû visiter.
 
Voici les Noëls de Vendôme,
Notre-Dame des pèlerins.
Le passé fut si beau en somme
Qu’il ne faut blâmer le destin.
Jusqu’au bout de nos années d’homme
Nous aurons gardé le meilleur,
Le savoir de ce que nous sommes,
La jeunesse de notre cœur.

Et pour toi, depuis si longtemps
De l’adolescence surgie,
Je n’ai que d’étranges présents
A te laisser, ô mon amie :
Moins de joie, c’est sûr, que de peines,
L’asile où j’abritais ma vie
Au cœur des mauvaises semaines,
Et ce qui jamais ne s’oublie.
 
Pour vous, les frères de la guerre,
Les compagnons des barbelés,
Fidèles dans toutes misères,
Vous ne cessez de me parler.
Voici nos neiges sur le camp,
Voici nos espoirs d’exilés,
Notre attente de si longtemps,
Notre foi que rien n’a troublée.
 
Et vous, garçons de mon pays,
Voici les mots que nous disions,
Nos feux de camp parmi la nuit,
Et nos tentes dans les buissons.
Vous le savez mieux que personne,
J’ai voulu garder ma patrie
Du sang versé, et je vous donne
Ce sang gardé, ô mes amis.
 
Cher Well[4], notre sainte colline,
Le petit peuple du marché,
Le rue grouillante où l’on chemine,
Les charrettes des maraîchers,
Ils sont à toi, ami têtu,
Qui dans l’ombre toujours devines
Ce que l’espoir jamais battu
Malgré l’apparence dessine.
 
Et pour vous les derniers venus,
Compagnons des sombres journées,
O captifs des cachots reclus,
Gardez mes heures condamnées,
Gardez le froid, gardez l’ennui :
Pour ceux qui ne les auraient plus,
Ce sont des trésors eux aussi.
Avec vous je les ai connus.
 
Quelques ombres, quelques visages
Ont droit encore à quelques grains
Finissons vite le partage
Avant que vienne le destin.
Tous ceux-là qui, garçons ou filles,
Sont venus couper mon chemin
Peuvent bien dans la nuit qui brille
Attendre avec moi le matin.
 
Pour eux tous j’avais les mains pleines
Elles sont vides maintenant
Des images les plus lointaines,
Du passé le plus émouvant.
Je ne garde pour emporter
Au-delà des terres humaines
Loin des plaisirs de mes étés,
Des amitiés qui furent miennes,
 
Que ce qu’on ne peut m’enlever,
L’amour et le goût de la terre,
Le nom de ceux dont je rêvais
Au cœur de mes nuits de misère,
Les années de tous mes bonheurs
La confiance de mes frères,
Et la pensée de mon honneur
Et le visage de ma mère.

Fresnes, 22 janvier 1945.

Notes

  1. José Lupin, ami de Robert Brasillach au lycée Louis-le-Grand. Il est souvent cité dans Notre avant-guerre.
  2. Georges Blond.
  3. Henri Poulain, ami fidèle de Robert Brasillach pendant ses dernières années.
  4. Well Allot, aujourd’hui François Brigneau, qui habitait rue Mouffetard, tout près de la rue Rataud, où était le domicile de Robert Brasillach.

Source

les-poemes-de-fresnes.jpg