Lucien Rebatet, « Fidélité au national-socialisme », Je suis partout, 28 juillet 1944.


Fidélité au national-socialisme - Lucien Rebatet.jpg


Admettons que Hitler soit sur le point d’être vaincu. Mais que l’on songe alors aux efforts monstrueux sous lesquels il aura succombé : six ans d’une guerre larvée, acharnée, conduite par un blocus financier quasi-universel, par une propagande planétaire, par d’incessantes machinations diplomatiques, toutes les églises, toutes les morales, toutes les philosophies, toutes les académies lancées dans cet assaut ; l’union sacrée contre l’hitlérisme des prêtres et des maçons, des objecteurs de conscience communistes et des pires traîneurs de sabres, du Gotha et de l’usine, de la République laïque et judaïque et de L’Action française antisémite ; puis la guerre réelle, totale, dressant les quatre plus grandes puissances du globe, l’Angleterre, l’Amérique, la Russie et Israël, sans compter leurs vassaux, en une coalition hétéroclite mais monstrueuse, et cinq ans – au moins ! – de cette guerre infernale, menée avec les moyens les plus sauvages et les plus dégoûtants, vingt millions de morts, un continent rasé ; tout cela pour faire mordre la poussière au fils d’un douanier autrichien, d’un ancien caporal d’infanterie bavaroise, au minuscule agitateur entré dans la politique avec un parti de six membres qui tenait ses assises dans un bistro de faubourg et avait sept marks cinquante en caisse.

Dans de tels cas, n’en doutez pas – et nous en avons déjà eu quelques exemples assez illustres ! – c’est le vaincu qui laisse les traces les plus profondes, qui met son empreinte à son siècle, qui modèle les idées et les régimes, qui a une postérité politique, spirituelle, alors que ses ennemis se sont désunis et déjugés avant d’avoir tiré le dernier coup de canon. Une petite conséquence, entre mille autres, de ceci : les gens de lettres, les artistes, qui aiment leurs aises morales et physiques et ne placent en somme rien au-dessus, maudissent d’habitude le “tyran”, “l’usurpateur” sous lequel ils vivent. Mais à la génération suivante, ils chantent l’épopée du héros...

La taille de Hitler se mesure aux insultes qui lui sont prodiguées, aux haines frénétiques et imbéciles qu’il inspire. Les plus grands phares de la politique ont toujours été traités en bourreaux, en antéchrists, en ennemis du genre humain.

J’admire Hitler. Nous admirons Hitler, et nous avons pour cela de très sérieuses raisons. Dans la lutte contre toutes les foutaises périmées du XIXe siècle, Hitler a eu d’innombrables devanciers, analystes, dialecticiens plus brillants et plus agiles que lui. Mais c’est lui qui a réellement fait passer dans l’action l’immense courant des idées antidémocratiques. C’est lui qui portera devant l’histoire l’honneur d’avoir liquidé la démocratie.

Je viens de relire les pages de Mein Kampf, de ses discours, qui renferment l’essentiel de sa doctrine. Il faut beaucoup de mauvaise foi pour prétendre être dérouté par cette doctrine. Dégagée des falsifications et déformations qui en ont été répandues, elle est familière à tous les Français qui ont depuis cent ans, dans le sillage de Balzac, de Maistre, de Taine, de Drumont, de Maurras, ont dénoncé les tares fatales du système démocratique. Hitler, qui n’a pas dû fréquenter beaucoup ces penseurs français, les rejoint en opposant l’absurde gouvernement du nombre au gouvernement de ce que je voudrais appeler “l’aristocratie” (aristos, le meilleur), l’élite, pour employer une terminologie plus volontiers reçue.

Hitler ne croit ni à l’égalité, ni à la fraternité, ni au mythe de la liberté qui accompagne les précédents sur les frontons “républicains”. Mais il croit aux bienfaits de l’Autorité, de la Hiérarchie, de la Responsabilité, de la Compétence. Mais il sait quelles ne surgiront pas, par génération spontanée, des masses démocratiques, soi-disant maîtresses de leurs destins.

« A-t-on vu une seule fois, écrit-il, une multitude comprendre une idée avant que le succès en ait révélé la grandeur ? Toute action de génie n’est-elle pas ici-bas une offensive du génie contre l’inertie de la masse ?... Peut-on encore croire que le progrès humain vienne, si peu que ce soit, du cerveau d’une majorité et non de la tête d’un homme ? »

Par ces notions si claires, et ce qui en découle (substitution par exemple des assemblées consultatives aux assemblées représentatives), après cent cinquante années de chimères dont la vie ne pouvait être que brève, Hitler entend restaurer les formes naturelles, éternelles, du gouvernement des hommes. Il se soucie peu d’étayer, par des développements philosophiques ces vérités qui vivent en lui avec tant de forces. Il laisse ce soin aux littérateurs professionnels. Son rôle, à lui, est de travailler au succès effectif de ses idées. Il n’est aucun homme d’Etat moderne qui n’ait dressé plus complètement le manuel pratique, technique de l’accession au pouvoir, de l’organisation du pouvoir et de la réussite dans le pouvoir.

C’est là, surtout, dans la vision si exacte et pénétrante des hommes, et de ce qu’on en peut raisonnablement attendre, que se manifeste un réalisme génial, d’autant plus génial qu’à l’époque où Hitler le fixait sur le papier, au fond de sa prison, son expérience politique avait été courte. Je tombe à l’instant même sur les lignes où Hitler traitant de la rédaction du programme du parti, déclare qu’il suffit d’une doctrine dont les grandes lignes sont d’une trop évidente justesse pour pouvoir être mises en cause et qu’il faut se garder de la retoucher dans la forme « car le caractère superficiel des hommes leur ferait apparaître cette question de pure forme comme la tâche essentielle du mouvement ».

Quelle critique aiguë, et dont les nationalistes français auraient à faire profit plus que personne ; des parlotes, des comités, des enquêtes, de cette énorme agitation écrivassière, doctrinale, cérébrale, qui constitue pour tant d’hommes de partis la fallacieuse figure de l’action ! Hitler leur rappelle implicitement que, lorsqu’on attache un pareil prix à l’idée en soi et à sa forme, on n’a qu’à se spécialiser dans la philosophie ou

l’ontologie, qu’il est très inopportun de voir dans la politique la fin de toute l’activité intellectuelle, que la politique se suffit de quelques idées saines, mais qu’elle est l’art de donner réalité à ces idées.

« Hitler ? disaient les Juifs. Un énergumène, un épileptique écumant. » Or, chez cet épileptique, chez cet énergumène, ce qui nous saisit le plus, c’est le bon sens, « ce grand bon sens à la Machiavel, disait Baudelaire, qui marche devant le sage, comme une colonne lumineuse, à travers le désert de l’histoire ».

Mais les raisons du succès extraordinaire de Hitler ne sont pas seulement dans ce bon sens et ce réalisme. Il y a eu, avec Hitler, d’autres apologistes de l’ordre, de l’autorité. Ils ne pouvaient réussir, parce qu’ils étaient des conservateurs. Hitler, c’est l’âme d’un chef d’airain dans un homme du peuple. Cet aristocrate de la pensée politique est un tout petit bourgeois d’origine tombé dans le prolétariat. Il est fraternel aux besoins de ce prolétariat. Il sait que c’est d’abord aux classes des travailleurs que le chef politique se doit.

Les démocraties feignent de s’en remettre aux volontés du peuple, le flattent dans sa vanité égalitaire (en France), dans son puritanisme étroit (en Angleterre et en Amérique) pour mieux l’asservir aux oligarchies internationales dont elles sont les agents. Le peuple participe à la frime des votes, en ignorant tous les secrets de la cuisine électorale. Toutes les décisions financières, diplomatiques, militaires qui règlent son destin sont prises, à milles piques au-dessus de lui par des clans, par une poignée de meneurs ou de potentats. Face à cette monumentale hypocrisie, Hitler représente l’honnête vérité. Il ne croit pas que les hommes soient nés « libres et égaux en droit ». Il sait que les « masses » sont incapables de se conduire, de prendre une décision qui leur soit bienfaisante. Mais c’est justement pour cela qu’après avoir détruit la fiction du gouvernement démocratique, ce démophile s’institue défenseur du peuple et défenseur non pas sur les estrades, mais dans la réalité, dans la pratique.

Ces caractères de l’action hitlérienne nous avaient séduit ici, bien avant la guerre, et dès une époque où, aussi sincèrement que nous sommes aujourd’hui partisan d’une entente étroite de la France et du Reich, nous clamions notre inquiétude devant la remilitarisation de l’Allemagne, ce qui nous valait du reste à l’époque les sarcasmes du clan youtrophile prêt à exterminer aujourd’hui deux cents millions de blancs pour avoir la peau de Hitler.

Dès 1934, on a opposé à nos sympathies pour le national-socialisme une première objection : « Comment établissez-vous la limite entre ce national-socialisme et le communisme que vous combattez ? » Il est évident que national-socialisme et communisme sont nés des mêmes faits historiques : création des nouvelles féodalités financières et industrielles, extension à l’infini du machinisme, nouveau servage par le machinisme, que, dans le principe, le fossé est bien moins large entre le national-socialisme et le communisme qu’entre le national-socialisme et le capitalisme démocratique.

Notre hostilité au communisme a tenu d’abord à ses origines juives, à sa formidable façade d’utopie démagogique, la fiction démocratique à la centième puissance, qui lui a valu les faveurs bouffonne des vieilles tripes quarante-huitardes, à la manière d’Édouard Herriot. Il n’y a pas à dissimuler que la transformation de moins en moins déguisée du stalinisme en autocratie de fer est, dans l’absolu, dans le domaine de l’idée gratuite, moins odieuse que l’affreuse cafardise du biblisme capitaliste des Anglo-Américains, avec ses papes puritains, ses milliardaires juifs, ses dynasties du coffre-fort. Je ne suis pas très loin, pour ma part, de penser : Tout, plutôt qu’une victoire du capitalisme américain, régnant en maître sur une Europe dont il aura anéanti par ses bombes la civilisation, qu’il exploitera avec sa vieille férocité boursière, pour perpétuer ce bluff, ces privilèges exorbitants de quelques classes et cet énorme et désespérant paupérisme des millions de sans-travail qui constituent exactement l’actif de ses « libertés démocratiques », ces libertés si commodes pour les rois du dollar et dont ils sont, et pour cause, les conservateurs intolérants. Tout plutôt que ces réactionnaires-là.

Si le genre humain est assez bête pour vouloir à tout prix goûter des principes égalitaires poussés jusqu’à leurs dernières conséquences, eh bien ! qu’il en goûte. Le plus tôt sera le mieux, puisqu’aussi bien, au terme d’une brève période d’hyper-capitalisme à direction yankee, il faudra en passer par là. Et puisqu’il est prouvé qu’au bout du communisme il y a le pouvoir absolu, cette forme de gouvernement-là est sans conteste moins “antiphysique”, moins décadente, plus riche, qui sait ? d’avenir, que la putréfaction du parlementarisme “libéral”.

Voilà certainement les propos que nous aurions tenu depuis longtemps si nous étions des cyniques, ayant rompu toute attache avec notre passé d’Occidentaux. Mais la question du bolchevisme est avant tout une question de longitude. Tous les arguments qu’on peut lui opposer s’expriment en un mot : asiatisme. Nous ne pouvons considérer sans effroi, sans un mouvement instinctif de défense l’importation à l’état brut, chez nous, d’un régime né si loin de nous, dans les steppes vagues de l’Eurasie, dans les pays classiques des satrapies, chez des peuples ayant sur nous cinq siècles de retard. Que ce régime, après d’effroyables dégâts, se soit finalement adapté à ces peuples, c’est possible, puisqu’il a subi sans plié l’épreuve du feu, puisqu’il a trouvé des millions de défenseurs. Il n’est pas le moins du monde interdit d’envisager des rapports économiques avec une Russie stalinienne, s’organisant à sa manière dans ses énormes espaces, pas interdit non plus d’étudier certaines de ses expériences. Mais nous ne pouvons admettre l’extension indéfinie d’un système qui se proclame lui-même universel, qui a déterminé chez nous la dénationalisation radicale de ses adeptes.

C’est pourquoi, depuis tant d’années déjà, nous lui opposons le national-socialisme. Avec lui, nous possédons, aux problèmes politiques et économiques de ce siècle, une solution adaptée à nos climats, nos traditions, nos institutions. Entre le bolchevisme russe et l’hypercapitalisme yankee, le national-socialisme occidental seul demeure à la mesure de l’homme, laisse à la vie de l’individu ses prérogatives, sa personnalité. C’est une des preuves les plus manifestes de l’anarchie intellectuelle où nous sommes que l’on ait justement attaqué le national-socialisme au nom de ces “valeurs humaines” que seul il peut garantir.

Une autre objection est née depuis peu : « Nous l’avons vu, votre fameux national-socialisme. Nous y sommes jusqu’au cou. Et jamais la misère n’a été plus grande. »

Voilà notre réponse : le national-socialisme est une révolution. Toute révolution a besoin pour s’accomplir, pour porter ses fruits, d’une période de libre activité. Le national-socialisme allemand a eu en tout et pour tout six années d’une demi-paix horriblement difficile. En dépit de tous les obstacles, et dans ce délai si court, il est parvenu au redressement complet d’un pays brisé, et qui, depuis, a suffisamment prouvé, dans la plus dure des guerres, à quel degré de force et d’unité il est parvenu. Qui a connu l’Allemagne de 1933 à 1939 conserve pour toujours dans sa mémoire les prodigieux tableaux d’un peuple tiré du tombeau, de la plus passionnante explosion de vitalité, de joie retrouvée qu’il soit possible d’imaginer sur cette terre.

C’est justement cette foudroyante réussite qui a déterminé la coalition judéo-capitaliste à choisir la guerre et à y acculer l’Allemagne. Malgré tant d’obstacles, Hitler était parvenu à faire revivre normalement un peuple de quatre-vingts millions d’habitants, à lui rendre son prestige et sa puissance, et cela en bridant le capitalisme, en crevant les baudruches démocratiques, en excluant les Juifs. La méthode était trop bonne, trop dangereuse pour les féodaux de l’or. Il ne leur restait plus qu’un moyen : le canon.

Nos ennemis ont beau jeu pour railler aujourd’hui l’état de l’Europe, les souffrances de ses habitants. Mais qui a créé, sinon eux, les conditions de cette misère ? Les pseudo-libertés qui s’attachaient encore à la démocratie sont d’ailleurs mortes partout. Les démocraties se sont condamnées elles-mêmes en déclenchant leur guerre, qu’elles ne peuvent plus conduire que par des moyens dictatoriaux, en déterminant, sur le globe entier, un chaos dont on ne pourra sortir que par l’instauration de l’ordre le plus strict.

Il est vrai que le national-socialisme de l’occupant s’est fort peu manifesté sur notre sol. Mais l’en accuser ne reviendrait-il pas à lui reprocher de nous avoir laissé le maximum de souveraineté politique ? Quel usage l’État français a-t-il fait de cette souveraineté ? Voilà le point sur lequel doit porter avant tout la critique. Je n’ai pas besoin de redire aux lecteurs de ce journal que, depuis quatre ans, les seuls efforts accomplis chez nous l’ont été pour saboter, discréditer sournoisement cette “Révolution nationale” dont le nom est devenu synonyme de la plus honteuse escroquerie.

Il y a dans la doctrine de Hitler une part considérable de points et de soucis spécifiquement allemands, sur lesquels ce vigoureux empiriste a toujours insisté. Les principes autoritaires et socialistes renfermés dans cette doctrine n’appartiennent pas cependant au seul Hitler et à la seule Allemagne. Mais parce que Hitler et le peuple allemands en ont les premiers fait des réalités solides (j’écris ceci sans oublier la part qui revient à Mussolini, le génial précurseur, trop solitaire malheureusement dans son pays), il est juste que l’on donne à ces principes le nom de national-socialisme qui lui a été donné en terre allemande.

Avant même que le national-socialisme eût triomphé, nous savions qu’il renfermait des principes valables pour tous les peuples. Les exemples italiens, espagnols et, dans une certaine mesure, portugais l’ont bien prouvé. C’est un immense malheur que l’Occident entier, ne se soit pas, de 1935 à 1939, aligné sur ces principes. La guerre a été le résultat de cette impuissance. Du plus profond de la guerre, de l’angoisse, de la misère, nous pensons, plus fermement que jamais, que le salut, pour l’Occident, est dans le national-socialisme. Mais nous pensons aussi que les conditions les plus élémentaires du national-socialisme ne sont toujours pas réalisées en France, et que c’est maintenant, non seulement pour nous, mais pour l’Occident entier, une question urgente de vie ou de mort.


Lucien Rebatet